Une « nuit bleue » au cœur d’une année noire à Marseille, où le narcobanditisme a fait 49 morts et plus d’une centaine de blessés en 2023. Cette nuit-là, du 2 au 3 avril, le macabre bilan des règlements de compte a fait déjà 13 victimes dans la cité phocéenne lorsque de nouvelles fusillades éclatent. Mais « elle est inédite, par le nombre de morts et de blessés, se souvient Rudy Manna, porte-parole du syndicat Alliance Police. On avait rarement vu cela à Marseille, malgré le taux de violence inouïe et le nombre de règlements de compte. »
Ce dimanche soir, vers 23h30, des premières rafales de Kalachnikov se font entendre dans la cité du Castellas. Deux jeunes, de 21 et 23 ans, sont retrouvés morts, plusieurs autres, blessés, sont pris en charge. Au sol, une quarantaine de balles sont retrouvées. A moins de 500 mètres de là, les secours prennent en charge deux autres blessés à la cité des Aygalades. Vers 00h40, une autre fusillade a lieu cette fois dans le quartier de la Joliette, proche du centre-ville de Marseille. Les victimes ont 14, 15 et 16 ans. Seule la plus jeune survivra à ses blessures.
Une nuit « symbolique »
En une heure à peine, la nuit a fait, selon le bilan final, quatre morts et une dizaine de blessés. C’est par elle qu’Eric Miguet et Jean-Guillaume Bayard, journalistes à La Provence, ont choisi de commencer leur podcast « Cartel Nord » qui décrypte, sur plusieurs saisons façon « The Wire », le trafic de drogue qui gangrène Marseille. D’habitude dévolu aux attentats en Corse et au terrorisme, le terme « nuit bleue » fait ici référence aux nombreux gyrophares des secours et forces de police qui ont parcouru la ville en cette nuit dramatique.
« Cette nuit est symbolique par l’intensité de la violence, la capacité de deux bandes rivales à se répondre quasi dans l’instant, la jeunesse des profils visés, des petites mains du trafic, et le profil du principal suspect de la fusillade de la Joliette », décrypte Eric Miguet. Très vite, la police judiciaire remonte en effet la piste de Mattéo, 18 ans à peine, soupçonné d’être le tueur à gages qui a tué les deux jeunes de la Joliette.
Au lendemain de cette « nuit bleue », Frédérique Camilleri, alors préfète de police des Bouches-du-Rhône, parle de « vendetta », à propos de la guerre à laquelle se livrent les trafiquants de drogue. Et plus particulièrement deux groupes qui se disputent les quatre points de deal à La Paternelle, une cité des quartiers Nord. « Cette nuit n’est pas un point de bascule, les choses viennent de beaucoup plus loin, et l’on est monté d’un cran à chaque fois dans cette guerre des gangs », rappelle Hassen Hammou, fondateur du collectif « Trop jeune pour mourir ».
La guerre entre DZ Mafia et Yoda
« Cette nuit est annonciatrice de ce qui va se passer tout au long de l’année 2023, et le grand public prend conscience aussi du rajeunissement des victimes liées au trafic de drogue », observe de son côté Rudy Manna. En 2023, selon un bilan du parquet de Marseille, 73 % des meurtres et tentatives d’homicide liés au trafic de drogue trouvent leurs origines dans le contentieux DZ Mafia et Yoda, deux clans rivaux de La Paternelle qui atteignent au fil des mois une sinistre renommée. Et dont le conflit prend racine en février 2023, lors d’une soirée en Thaïlande comme le raconte un épisode de « Cartel nord ».
Un an après cette « nuit bleue », l’accalmie récente, après des arrestations deux côtés, dont celle du chef des Yoda au Maroc, et des opérations « place nette », laissent chacun prudents. « La nature a horreur du vide, je continue à croire qu’il faut mettre en place des politiques durables », enjoint ainsi Hassen Hammou. « Pas de triomphalisme » non plus pour Rudy Manna : « Les opérations places nette assèchent les réseaux, mais la réponse policière ne peut pas faire tout. »
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