Éric Dupond-Moretti : Avocats, magistrats, que reprochent-ils tous au ministre de la Justice ?

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Avec le temps, on peut considérer qu’Éric Dupond-Moretti est devenu un des poids lourds du gouvernement. Depuis sa nomination surprise en juillet 2020, le garde des Sceaux fait office d’élève appliqué à la tâche : il a notamment arraché un budget « historique » pour « mettre un coup d’arrêt à la clochardisation de la justice » et tenter de « faire bouger les lignes de l’institution judiciaire », nous confiait-il en mars 2023.

En proposant à l’ancienne star des barreaux la place Vendôme, le président de la République, Emmanuel Macron, a donc réussi un joli coup politique. Mais à l’époque, ce choix avait fait grincer quelques dents parmi les professionnels de la justice. Et quatre ans après, bon nombre de juges, de parquetiers et d’avocats portent sur Éric Dupond-Moretti un regard critique.

Les relations entre le ministre et les magistrats ont souvent été tendues, pour ne pas dire exécrables. Rapidement après sa désignation, deux syndicats (le Syndicat de la magistrature et l’Union syndicale des magistrats) lui ont reproché d’avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats avec qui il s’était opposé en tant qu’avocat, et ont déposé plainte en décembre 2020 pour « prise illégale d’intérêts ». Des accusations que celui qu’on surnommait « Acquitator » a vécues comme une véritable déclaration de guerre, se disant victime d’un véritable complot syndical. Pour lui, ces organisations n’auraient pas digéré qu’un avocat devienne garde des Sceaux. L’affaire a donné lieu à un procès inédit devant la cour de justice de la République qui s’est soldé, en novembre dernier, par la relaxe d’Éric Dupond-Moretti.

« Apaisement dans les échanges »

« Cela a été une période très compliquée entre le garde des Sceaux et les magistrats, en particulier les organisations syndicales, explique à 20 Minutes Kim Reuflet, la présidente du Syndicat de la magistrature. Le fait que le procès soit passé a permis de normaliser les relations avec son cabinet. Il y a eu un peu d’apaisement dans les échanges. Au moins on se parlait car avant, on avait du mal à le faire. »

Mais un nouvel incident pourrait raviver ces vieilles rancœurs. Tout récemment, en marge d’un déplacement à Marseille avec Emmanuel Macron pour lancer les opérations antidrogue « place nette XXL », des magistrats ont raconté s’être pris « une soufflante » de la part du ministre. Son entourage glisse à 20 Minutes que le garde des Sceaux a évoqué « à huis clos », avec eux, « les difficultés qu’ils rencontrent » pour lutter contre la criminalité organisée. A cette occasion, il a aussi tenu aussi à « déplorer les propos tenus devant une commission d’enquête parlementaire mettant en cause indûment certains agents du greffe de la juridiction marseillaise ».

« Père fouettard »

L’affaire a été mal vécue par les magistrats. Au point que le Conseil supérieur de la magistrature s’en est mêlé. Cet organe, chargé de protéger l’indépendance de la justice, a estimé que ce recadrage était « de nature à porter atteinte » à la séparation des pouvoirs. « Le ministre tient régulièrement des propos de nature à porter atteinte à l’indépendance de la justice, répète Kim Reuflet. Il n’a rien à dire sur ce que déclarent les gens devant la commission d’enquête, quand bien même il s’agit de magistrats. Ce recadrage est inadmissible. Cela montre que le ministre a à cœur de maîtriser la parole des magistrats, c’est une marque de ce garde des Sceaux. » Selon elle, « les magistrats regrettent aussi son peu d’empressement à défendre l’indépendance de la justice quand elle est attaquée par d’autres, notamment par Gérald Darmanin ».

« Que le ministre ne soit pas content et le dise aux intéressés, c’est une chose. Qu’il le fasse de cette façon-là, en se mettant en scène, c’est plus gênant. Ce recadrage public nous interpelle. Nous avons fait un communiqué pour lui rappeler que son rôle de ministre consistait à soutenir ses troupes avant toute chose, et non à jouer au Père fouettard », indique pour sa part à 20 Minutes Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des Magistrats. Pour autant, il estime que « la guerre n’est pas rallumée avec le ministre ». Depuis le procès devant la CJR, les relations avec Éric Dupond-Moretti « se sont normalisées ». « On est dans une relation professionnelle, et il y a des choses qu’il fait plutôt pas mal. On a besoin d’avoir cette relation avec l’échelon politique. »

Une déception pour les pénalistes

Beaucoup plus étonnant, c’est la prestigieuse Association des avocats pénalistes (ADAP) qui a récemment pris la plume pour manifester son mécontentement à l’égard de l’ancien ténor. La raison ? Devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic, le ministre a qualifié de « tricherie » le fait pour un avocat d’ « exploite [r] le code de procédure pénal » pour soulever des procédures de nullité. Des propos qui ont déçu Me Romain Boulet, le coprésident de l’ADAP. « C’est un type pour lequel on a tous, toutes, eu une admiration sans borne. On peut critiquer le personnage qu’il était. Mais des confrères qui vous diront qu’il était un mauvais avocat, vous n’en trouverez pas beaucoup. On l’a idolâtré », explique-t-il à 20 Minutes.

Mais, insiste-t-il, « soulever des nullités de procédure, ce n’est pas tricher, c’est l’application de la loi. Les avocats ne font que leur métier, et c’est même leur devoir de soulever des nullités de procédure. Est-ce qu’il s’agit de dire que le trafic de drogue prospère en France parce que des avocats font leur travail ? Si c’est le cas, c’est faux, absurde, juridiquement inepte. » Pour les membres de l’association qu’il représente, il est « difficile » de « voir celui qui fut un grand pénaliste, un pourfendeur des dérives de la justice, adopter des positions antiavocat et plus largement contraires à la défense des principes fondamentaux ».

Ce n’est pas la première fois que les avocats pénalistes expriment des reproches à l’égard de leur ancien confrère. Les robes noires ont également regretté, en janvier 2023, ​​la généralisation des cours criminelles départementales. « C’était un avocat d’assises exceptionnel, note Me Romain Boulet. Pourtant. Et en tant que garde des Sceaux, il vient enterrer la cour d’assises. C’est un truc où on ne le comprend pas. »

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