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Guerre des ego, agents infiltrés… Enquête sur les opposants de Poutine en exil

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Mais où est passé Alexeï Navalny ? Depuis début décembre, les proches de l’opposant russe, emprisonné depuis 2021, sont sans nouvelles de lui. En attendant que le militant anticorruption recouvre – un jour, peut-être – la liberté, d’autres dissidents s’activent, en exil, pour que la flamme de l’opposition ne s’éteigne pas. L’un des plus célèbres est sans doute Maxim Katz, un youtubeur aux 2 millions d’abonnés. Installé en Israël depuis 2022, ce trentenaire met chaque jour en ligne un décryptage de l’actualité russe sous la forme d’une critique acérée du régime poutinien. « Ma chaîne totalise de 6 à 7 millions de vues par mois ! » claironne Katz, qui veut rassembler tous les dissidents en exil avant la présidentielle russe, prévue le 17 mars 2024. Son ambition : mener une « opération spéciale électorale » contre la réélection de Poutine.

A vrai dire, son projet ambitieux a déjà du plomb dans l’aile. Voilà quelques semaines, Maria Pevchikh, la présidente de l’ONG créée par Alexeï Navalny, la Fondation anticorruption, a décliné son invitation à former une coalition à trois dans laquelle Katz serait au niveau des deux plus grandes figures de la dissidence : l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski (qui vit à Londres) et Alexeï Navalny (qui purge une peine de trente ans de prison). « Au diable vos coalitions ! » pouvait-on lire, le 25 septembre, sur le blog de Navalny, qui expliquait pourquoi, selon lui, Maxim Katz est un imposteur.

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« Au lieu de vous activer pour faire bouger les choses, vous organisez des conférences uniquement pour votre prestige personnel », écrivait-il à l’adresse de Maxim Katz et de ses partisans. Entre les deux hommes, la détestation est ancienne. En 2014, Katz est le directeur de campagne adjoint d’Alexeï Navalny, mais ils se séparent après un conflit personnel. « C’était un autre temps », balaie l’intéressé. Depuis, la rancœur ne s’est pas estompée : Katz ne souscrit pas aux stratégies électorales du clan Navalny, tandis que ce dernier lui reproche la superficialité de son projet politique.

Rivalité entre opposants

C’est que la vie des opposants russes n’est pas un long fleuve tranquille. Au contraire. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les différents protagonistes sont dispersés aux quatre coins du monde (Royaume-Uni, Allemagne, France, Israël, Etats-Unis…). Sans réels moyens et contraints de mener leur combat depuis l’étranger, ils tentent néanmoins de s’unir dans l’espoir d’influer le cours de l’Histoire. Mais sans succès convaincant, hormis, peut-être, leur « déclaration des forces démocratiques russes ». Signée en avril dernier à Berlin par 28 associations antiguerre et soutenue par 102 personnalités russes (mais pas par Navalny), elle prône la victoire de l’Ukraine, la restitution de tous ses territoires occupés – Crimée incluse – et la condamnation du régime de Poutine. Les signataires se réunissent régulièrement en visio sur Zoom ou lors de conférences dans les capitales européennes.

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L’opposition russe en prison et en exil

© / L’Express

« Malgré leur accord sur ces grands principes, il y a entre eux des rivalités, pointe Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales. Elles sont liées tant aux ambitions personnelles et à la compétition pour les financements et soutiens occidentaux qu’aux projets politiques pour la Russie d’après Poutine. » De fait, plusieurs comptent retourner un jour en Russie pour y faire de la politique, à commencer par Maxim Katz, « un opportuniste qui, sur Internet, dit tout et son contraire », selon certains. Pour l’ancien député et opposant Guennady Goudkov, aujourd’hui installé en Bulgarie, le climat délétère au sein de l’a diaspora russe lui convient : « Ce youtubeur cherche à rentabiliser sa chaîne par ses sorties sur Navalny, qui boostent son audience sur les réseaux sociaux. »

« On dirait une secte »

Mais Katz n’a pas le monopole de l’égocentrisme. « Navalny refuse de coopérer avec les autres opposants, parce qu’il estime qu’il n’a pas besoin d’eux, et que ce sont eux qui, au contraire, devraient venir à lui », observe le blogueur et commentateur politique russe Dmitry Kolezev. Coauteur d’Alexeï Navalny. L’homme qui défie Poutine (Tallandier, 2021), le chercheur Morvan Lallouet renchérit : « La Fondation anticorruption de Navalny est une structure soudée et assez opaque, et on ignore à quelle fréquence et selon quelles modalités ses cadres sont en contact direct avec lui. » « On dirait une secte », ajoute, cinglant, un opposant qui la connaît de longue date. Contactée par L’Express, l’ONG n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

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Du haut de sa fortune accumulée du temps où il était proche de Poutine, Mikhaïl Khodorkovski fait figure de grand manitou. Exilé depuis huit ans à Londres, dans le quartier chic de Marylebone, après avoir été le « prisonnier de Poutine » pendant dix ans, l’ancien oligarque finance une multitude de projets, tels que le média d’investigation Dossier Center, l’initiative Kovcheg (« Arche »), qui aide les exilés, ou encore le Comité d’action russe, une organisation militante. Pourtant, le millionnaire ne fait pas l’unanimité. Réputé pondéré, il a dérouté ses amis au moment de la mutinerie d’Evgueni Prigojine, fin juin, en suggérant de soutenir le chef de la milice Wagner…

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Garry Kasparov n’est guère plus rassembleur. Etabli à New York depuis bientôt deux décennies, l’ancien champion du mode d’échecs a créé le Forum de la Russie libre pour rassembler les exilés politiques. Mais il est jugé élitiste… et complotiste. Il adhère en effet à la théorie conspirationniste de la « nouvelle chronologie », selon laquelle l’Histoire ne commencerait qu’autour de l’an mil. Tout ce qui précède ne serait, selon lui, qu’une fiction. Voilà quelques semaines, il a sous-entendu, dans une interview, que Navalny était un « projet du Kremlin » et que son emprisonnement n’est qu’une mise en scène !

L’aile radicale

Quel que soit leur profil, tous ces opposants ont des moyens d’action limités et les réseaux sociaux sont leur seul vecteur et appeler au soulèvement contre Poutine n’est pas envisageable. « Nous avons le devoir moral de ne pas le faire, car les manifestants seraient immédiatement réprimés ou arrêtés », explique, depuis Sofia, l’ancien député Guennady Goudkov. Depuis février 2022, près de 20 000 personnes ont été interpellées en Russie pour avoir participé à des manifestations ou actions antiguerre. De son côté, le journaliste Fédor Krasheninnikov, qui vit à Bruxelles, s’interroge sur leur efficacité : « Nous faisons des meetings, nous signons des déclarations communes, mais à quoi bon ? »

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Pour remédier à ce doute existentiel, l’aile radicale de l’opposition en exil préconise l’action directe, à l’instar de Mark Feygin et d’Ilya Ponomarev. Le premier est un ancien avocat de prisonniers politiques, aujourd’hui youtubeur installé à Paris et qui se rend régulièrement sur la ligne de front en Ukraine. Le second est un « ultra » qui appelle à la guerre civile dans toute la Russie. « En réalité, les avis divergent surtout sur le mode opératoire », résume Tatiana Kastouéva-Jean. Un autre sujet de mésentente est toutefois en train de s’imposer, la guerre entre Israël et le Hamas. « Elle divise beaucoup l’opposition, reprend le journaliste Fédor Krasheninnikov. Certains soutiennent Israël, d’autres défendent la Palestine. »

Le modèle biélorusse comme exemple ?

Dans ce climat de zizanie, un chef de file pourrait-il voir le jour ? La question a maintes fois été posée avec, à l’esprit, l’exemple de la Biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa, candidate à la présidentielle en 2020, qui, cette année-là, avait fédéré tous les opposants lors des grandes manifestations à Minsk. Mais, faute de moyens pour organiser une vraie élection, la dissidence russe est condamnée à rester une coalition. « Il leur faudrait une ou plutôt trois figures tutélaires qui se placeraient au-dessus des débats politiques, raisonne le député européen Bernard Guetta, membre du groupe Renew Europe. Des artistes ou des intellectuels, par exemple. »

L’ancien député à la Douma Dmitry Goudkov, fils de l’ex-parlementaire devenu opposant Guennady Goudkov, pourrait-il en faire partie ? En exil à Chypre, il s’affiche comme « celui qui parle avec tout le monde » – de l’équipe de Navalny à Khodorkovski, en passant par Maxim Katz. Un exploit. « La solution serait que Navalny et les opposants en exil présentent un front uni, ce qui leur permettrait de travailler avec les institutions occidentales. »

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Ce front uni, on le retrouve plutôt du côté des militants et militantes russes en exil. « Depuis le début de la guerre en Ukraine, en 2022, une grande partie des exilés russes en Europe sont des activistes, ou des personnes déjà engagées dans des mouvements d’opposition politique, retrace Olga Prokopieva, porte-parole de l’association Russie-Libertés. Ils se sont unis, et ont donné naissance à un grand réseau de Russes antiguerre, y compris à l’intérieur de la Russie, où ils agissent exclusivement de manière clandestine. » Vesna (« Printemps »), la Résistance féministe antiguerre ou Idite lesom (« Passe par la forêt »), qui vient en aide aux déserteurs russes, sont des organisations moins exposées médiatiquement que les grandes figures de l’opposition, bien qu’elles réalisent un travail essentiel. Ces centaines d’activistes ont adopté un mode d’action horizontal et échangent entre eux lors des forums de l’opposition, à l’instar du colloque organisé par Russie-Libertés à Paris en septembre dernier. « Nous devrions concentrer notre attention sur les mouvements de militants, plutôt que sur les grandes figures de l’opposition », assure le journaliste russe Dan Storyev.

Agents infiltrés

Ce dernier déplore tout de même un manque de structuration. Selon le romancier Iegor Gran, la zizanie actuelle serait l’œuvre d’agents du FSB infiltrés au sein de l’opposition en exil. « C’est un classique : les agents de Poutine appliquent les techniques héritées du NKVD [la police politique de Staline], décrypte l’auteur de Z comme zombie (P.O.L, 2022). Dans les années 1920, les émigrés russes et anciens combattants de l’armée blanche en exil représentaient un danger pour Moscou, qui envoyait des agents sur leurs traces afin de jeter l’opprobre sur eux. Leur méthode ? A Paris, à Berlin ou à New York, ils accusaient certains émigrés d’être des agents de la révolution bolchevique. De telles attaques créaient un climat délétère qui ressemble beaucoup à la situation actuelle… »

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Aujourd’hui, les regards se tournent vers Vladimir Ossetchkine, un personnage « bien étrange », selon plusieurs opposants. Fondateur du site Gulagu.net, spécialisé dans la dénonciation des cas de torture dans les prisons russes, il a reçu l’asile politique en France en 2015, et vit actuellement à Biarritz. Mais ses liens avec les autorités russes sont ambigus. Selon le média d’investigation russe Proekt, il a la fâcheuse habitude d’accuser tout le monde d’être à la solde du FSB. Par ailleurs, « il arrive que des agents du Kremlin se fassent passer pour des militants des droits de l’homme, abonde Irina Putilova, qui a collaboré avec l’ONG OVD-Info, qui vient en aide aux prisonniers politiques. L’un d’eux m’a contactée sur Facebook et s’est mis à me poser des questions sur la communauté des exilés. J’ai immédiatement compris qu’il s’agissait d’un agent du FSB », dit cette femme basée en région parisienne depuis deux ans. Les différents cas d’empoisonnement de Russes en Europe n’atténuent pas la peur constante de ces exilés. Pour anéantir l’opposition en exil, quel meilleur poison que celui de la paranoïa ?

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