Guerre en Ukraine : Déportés, tués, emprisonnés… Où sont passés les 37.000 disparus comptabilisés par Kiev ?

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«Le 23 avril vers 23 heures, elle a quitté son domicile […] et est entrée dans la forêt. Depuis, personne ne sait où elle se trouve. » Sur la chaîne Telegram ukrainienne Пошук зинклих (Recherche des disparus), suivie par plus de 40.000 personnes, les visages de femmes, d’hommes et d’enfants se succèdent, presque à l’infini. Accompagnés de messages sur les circonstances de leur disparition – lorsqu’elles sont connues.

Une kyrielle de groupes similaires ont fleuri sur les réseaux sociaux depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Confronté au désespoir d’une partie de sa population, le gouvernement ukrainien a ouvert un registre unifié des personnes disparues en mai 2023. Et presque un an plus tard, mi-avril 2024, le chiffre officiel est tombé : Kiev a identifié 37.000 personnes disparues après plus de deux ans de conflit.

« Il est bien trop tôt pour savoir si ce chiffre est sous-estimé ou non », estime Carole Grimaud, experte à l’Observatoire géostratégique de Genève. La fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est (Creer) rappelle que ces chiffres, à l’instar de ceux sur le nombre de morts, font l’objet d’enjeux très forts pour les Etats. Néanmoins, « les autorités et la société civile ukrainiennes, tout comme les observateurs internationaux, estiment bien que ce chiffre est sous-estimé, même s’il a l’avantage de montrer l’ampleur du problème », réagit Johanna Möhring, chargée de recherche au Center for Advanced Security, Strategic and Integration Studies (Cassis) à l’université de Bonn.

Des enfants et des soldats cachés

Parmi ces disparus, Kiev estime qu’au moins 20.000 enfants ont été déportés par la Russie, un fait qui a valu un mandat d’arrêt au président russe Vladimir Poutine, émis par la Cour pénale internationale. Seuls 400 d’entre eux ont pu être rapatriés, selon les autorités ukrainiennes, qui continuent à tenter d’organiser ces retours. Le 24 avril, la commissaire russe à l’enfance a ainsi annoncé l’échange de 48 enfants russes et ukrainiens déplacés par la guerre.

De tels échanges ont parfois lieu entre Kiev et Moscou pour les prisonniers de guerre. Parmi eux figurent sûrement certains des 37.000 disparus recherchés par Kiev. « La Russie affirme avoir détenu plus de 6.000 prisonniers ukrainiens, dont 2.000 ont pu revenir. Mais on pense que beaucoup plus de personnes ont été capturées et que leur emprisonnement n’est pas recensé ou communiqué aux autorités ukrainiennes, ce qui enfreint le droit international humanitaire », explique Johanna Möhring. Des proches de soldats disparus continuent d’ailleurs de se rassembler régulièrement à Kiev, demandant la libération des combattants emprisonnés.

Un « trafic de prisonniers »

« Une partie des soldats du régiment d’Azov ou de la bataille de Marioupol sont toujours détenus par la Russie », rappelle Carole Grimaud. D’après le régiment Azov, environ 900 de ses combattants capturés à Marioupol étaient toujours captifs des Russes en mars 2024. Johanna Möhring fait aussi état d’un « trafic de prisonniers » qui violerait les conventions de Genève : « Moscou est accusé de « vendre » des prisonniers à la Tchétchénie qui, ensuite, les utilise comme monnaie d’échange afin de rapatrier certains de ses soldats, prisonniers en Ukraine. »

Et, « même si le gouvernement n’en parle pas, il y a des désertions », glisse Carole Grimaud. Mi-avril, le président Volodymyr Zelensky a promulgué une loi pour mobiliser plus d’hommes, qui peuvent désormais être appelés au front dès 25 ans. « Depuis, encore plus de jeunes hommes tentent de traverser la rivière Tisza pour rejoindre la Roumanie, et il y a de nombreux morts », explique Carole Grimaud. Et de rappeller que ces déserteurs, effrayés par les poursuites, « quittent le territoire sans laisser d’adresse ». Au moins treize corps ont été retrouvés côté roumain du 24 février 2022 au 15 octobre 2023.

A la recherche de « morceaux de corps exploitables »

Mais, civiles comme militaires, de nombreuses dépouilles sont toujours en attente d’identification en Ukraine. Dans les carcasses de tanks, les tombes de fortune ou même les excréments d’animaux, des ossements humains sont collectés par des équipes et envoyés au centre médico-légal de recherche scientifique du ministère des Affaires intérieures de l’Ukraine. « Mais la charge de travail est monumentale, ce qui entraîne une longue attente. D’autant qu’une partie des personnes qui cherchent un membre de leur famille ont fui le pays et ne peuvent donc pas donner un échantillon de leur ADN pour le comparer aux restes. Et, malheureusement, il est parfois impossible de trouver des morceaux de corps exploitables », explique Johanna Möhring.

Parmi les soldats disparus, après une longue attente pour les retrouver et les identifier, nombre d’entre eux sont malheureusement morts, souligne Oleh Kotenko, commissaire chargé d’enquêter sur les personnes portées disparues, interrogé par Le Monde. « Au début du conflit, on a assisté à des échanges de corps de soldats entre la Russie et l’Ukraine », rappelle Carole Grimaud, alors que les pourparlers entre belligérants se poursuivent discrètement et difficilement sur le sujet.

Disparaître en zone occupée

Les autorités ukrainiennes sont confrontées à une autre difficulté de taille : la Russie occupe illégalement 20 % du territoire. Or, dans les zones occupées, « Kiev n’a plus la main et, parfois, ne sait même pas qui a disparu », souligne Carole Grimaud. « De nombreux témoignages rapportent des arrestations régulières de civils que personne ne revoit jamais. Et il est pratiquement impossible d’enquêter pour les autorités ukrainiennes », ajoute l’experte à l’Observatoire géostratégique de Genève.

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Dans ces territoires, de nombreux corps de soldats et de civils n’ont donc pas pu être identifiés. Kiev estime ainsi que des milliers de personnes ont été tuées à Marioupol, mais, Moscou occupant la ville depuis sa chute, les noms des victimes se font attendre. Malgré l’immense douleur de l’incertitude, de nombreuses familles pourraient donc ne jamais obtenir de réponse. D’autant que, comme Johanna Möhring le remarque, « dans une situation d’urgence nationale absolue », les disparus « ne sont peut-être pas la priorité. »

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