Les « jeunes » Emmanuel Macron et Gabriel Attal ne sont-ils pas des « boomers » avant l’heure ?

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«En quoi c’est vieux jeu ? », rétorque Emmanuel Macron quand 20 Minutes lui demande, lors de sa conférence de presse du 16 janvier, si « le gouvernement le plus jeune et le président le plus jeune ne vont pas mener une politique anachronique voire un peu vieux jeu ? ». Quelques minutes plutôt tôt, le chef de l’Etat a longuement développé une série de mesures axées sur « l’ordre » et « l’autorité » à destination de la jeunesse qui ne respiraient pas la modernité : expérimentation avant une éventuelle généralisation de l’uniforme à l’école, déploiement du service national universel, Marseillaise obligatoire, cérémonies de remises de diplômes, politique nataliste sous le sceau du « réarmement démographique ».

Il y a, dans cette liste des « re » (régénération, retrouver, renaissance…), un « c’était mieux avant » loin du « nouveau monde ». Et ce n’est pas la première fois qu’on le décèle dans les mots d’Emmanuel Macron. Il y a bien sûr une partie de son vocabulaire désuet. Mais sur le fond aussi. La défense de Gérard Depardieu dans « C à vous » en décembre, au-delà de la présomption d’innocence, a paru au minimum datée. Gabriel Attal, lui, a parlé dans sa déclaration de politique générale d’ « identité nationale », de « valeurs », de « traditions »… Le tout pouvant être qualifié de conservateur, ce qui peut jurer avec l’image de deux hommes de 34 et 45 ans à la tête d’une start-up Nation libérale.

« Plus vieux que la plus vieille de tes grands-mères »

En vérité, la question de « l’âge réel » du président ne date pas d’hier. Elle remonte même à son accession au pouvoir. Le 12 mai 2017, quelques jours seulement après que la France a élu son premier président de moins de 40 ans, la journaliste et autrice Titiou Lecoq (trois ans plus jeune que le nouvel élu), publie une chronique sur Slate.fr. Elle est titrée : « Emmanuel Macron n’a jamais fait partie de notre génération ». L’autrice se demande si ce jeune président a les mêmes référents que sa génération. « Emmanuel Macron est plus vieux que la plus vieille de tes grands-mères », lance-t-elle.

« Quand on l’interroge sur ses goûts musicaux et qu’il ne veut pas parler d’opéra, il cite Léo Ferré, Johnny Hallyday et Charles Aznavour. […] Son film préféré, c’est La Symphonie pastorale de Jean Delannoy. Un film de 1946… Et Les Tontons flingueurs, comme tout le monde. 1963. Mais il avait environ 18 ans à la sortie de Pulp Fiction et de La Haine. Ça compte quand même. […] Vous voulez une preuve supplémentaire ? Attention, c’est un peu violent. Quand on l’interroge sur son émission de télé préférée, notre jeune président cite  »Télématin ». Tout est dit. »

L’électorat le plus vieux de l’histoire

Emmanuel Macron ne s’est jamais caché de ce « décalage », lui qui a été élevé par sa grand-mère : « J’ai grandi de manière anachronique », disait-il au Monde en 2018. Si la jeunesse n’est pas un argument politique, la promesse d’un « nouveau monde » en 2017 avait cependant d’autant plus de poids que celui qui la portait avait moins de 40 ans. On en est visiblement plus là, et le réalignement conservateur de la politique macroniste suit une logique implacable, à en croire le communicant Philippe Moreau Chevrolet : elle est électorale. « On a actuellement les dirigeants les plus jeunes de l’Histoire… Poussés par l’électorat le plus vieux de l’Histoire ! »

Au premier tour de la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron a obtenu 20 % des voix chez les moins de 25 ans (huit points de moins que sa moyenne nationale) et… 41 % chez les plus de 70 ans (treize points de plus !), d’après Ipsos. Du simple au double. Cet écart – ce fossé – était beaucoup moins grand en 2017, toujours d’après Ipsos. Au premier tour, il avait obtenu 18 % chez les moins de 25 ans (six points de moins que sa moyenne) et 27 % chez les plus de 70 ans (trois points de plus). A l’époque, il obtenait son meilleur score (28 %) chez les 25/34 ans.

Comme des darons

Centriste, voire de centre gauche, l’électorat macroniste est depuis 2019, et encore plus en 2022, un électorat de droite traditionnel, et donc âgé. Et en parlant comme il parle, le chef de l’Etat ne fait pas que parler à son électorat, il parle comme lui. Pour caricaturer, Emmanuel Macron s’adresse aux jeunes comme des grands-parents le feraient à leurs petits-enfants : bosse, tiens-toi droit, dis merci, arrête de te droguer devant les réseaux sociaux et quand est-ce que tu nous fais un gosse ?

Gabriel Attal disait-il autre chose devant les députés quand il a lancé « tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ; tu défies l’autorité, tu apprends à la respecter » Politiquement, c’est payant. « Parce que les boomers, qui ont eu beaucoup de facilités dans leur jeunesse, ne comprennent pas les difficultés de celle d’aujourd’hui, analyse Philippe Moreau Chevrolet. D’ailleurs, pour que le message passe bien, les macronistes ne parlent jamais des banques alimentaires où les jeunes, souvent étudiants, font la file comme jamais depuis le Covid-19. »

Choc des générations : les jeunes ont perdu la guerre

En marketing, il est toujours bon de viser les jeunes… car vous touchez aussi des plus vieux qui ont envie de se voir jeunes. Ça n’est pas fondamentalement différent en politique. « Les boomers n’ont pas envie qu’on leur dise qu’ils sont vieux, affirme Philippe Moreau Chevrolet. Ils ont donc envie d’être représentés par des jeunes qui tiennent le même discours qu’eux sur les valeurs. Ils veulent se contempler dans ce miroir, et qu’on préserve leur cadre de vie. »

Un choc des générations particulièrement favorable aux plus anciens tant ils sont de plus en plus nombreux : 20,5 % de plus de 65 ans en France en 2020, contre 15,8 % en 2000. Or ils votent beaucoup plus que les jeunes : 24 % d’abstention chez les plus de 70 ans, contre 42 % chez les moins de 25 ans, au premier tour de la présidentielle de 2022, d’après Ipsos. Cyniquement, miser électoralement sur les jeunes n’a aujourd’hui pas de sens. Jean-Luc Mélenchon, qui avait obtenu 34 % des voix chez les moins de 25 ans le 10 avril 2022, en avait fait l’aveu (d’un ton « très boomer ») pendant l’entre-deux-tours des législatives : « Mais bon sang, (…) votez, les jeunes surtout ! […] Ras-le-bol ! Ils viennent pleurer dans mon bureau, sur Parcoursup, (…) et au moment du vote, couic, il n’y a plus personne ! ».

L’autorité pour et par tout le monde

Pour Philippe Moreau Chevrolet, Emmanuel Macron est au fond le seul à avoir compris que le choc des générations est bien réel et qu’il a un vainqueur : les boomers. « A part Marine Le Pen, qui fait la même chose avec Jordan Bardella », analyse le communicant. Il est d’ailleurs peut-être là, le vrai duel Bardella-Attal : pour cet électorat âgé, très mobilisé, où les macronistes sont aujourd’hui très dominateurs et où la faiblesse de l’extrême droite est structurelle.

Parmi les soutiens d’Emmanuel Macron, certains ont petit sourire en coin quand on leur demande s’il est « vieux jeu ». Mais aucun ne dit que le chemin pris n’est pas le bon. Le plus souvent même, la critique vous attire une réponse véhémente : « Et pourquoi pas has been, tant que vous y êtes ? », lance un conseiller élyséen. « C’est exactement la politique qu’il faut à la France, assure un cadre de la majorité. Vous pensez que la jeunesse, c’est monolithique ? Vous pensez que les gens de gauche ne veulent pas d’autorité ? Il y a un gigantesque appel au secours d’autorité. En remettre, c’est la meilleure mesure sociale qu’on peut faire en France. »

Ordre et progrès

Personne ne reconnaît vraiment que « leur projet » a changé depuis 2017, à mesure que leur électorat a bougé, ou l’inverse. « Les macronistes ont l’électoralisme honteux, croit Philippe Moreau Chevrolet. Ils n’assument pas de faire des choses rentables. Bien sûr qu’ils font ça pour êtres élus ». Le président lui-même enrobe toujours sa politique de « en même temps ». Il l’a encore fait dans sa réponse du 16 janvier. « Ce qui a fait notre pays, c’est l’ordre et le progrès. Je crois qu’il n’y a pas de progrès sans ordre. Et pour le coup, on est vieux jeu s’il y a que l’ordre et pas le progrès. » Ce « progrès » justement, cette possibilité « d’émancipation » de « l’héritage » inculqué, dit-il un peu plus loin, est-il moins visible aujourd’hui ?

En public comme en privé, les macronistes ont la conviction d’avoir fait depuis sept ans les choix qu’il fallait. Et que si c’est difficile, c’est parce que de grandes réformes ne donnent de résultats que des années après. « C’est très frustrant !, entend-on très souvent. Mais dans dix, quinze ans, on regardera positivement ce qui a été fait. » Une sorte de « tu me remercieras plus tard » qui, pour le coup, fait sacrément daron.

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